Patrimoine & Expertise
Gérer le patrimoine d’un majeur protégé
Lorsque l’un de vos proches se trouve en situation de vulnérabilité, il est courant que vous vous interrogiez sur les différents régimes de protection existants, sur la transmission de votre patrimoine à son profit et plus généralement sur la gestion de son propre patrimoine. Voyons, ensemble, les conséquences pratiques de la protection d’un majeur.
Publié le 08 juillet 2024
Quels sont les différents régimes de protection ?
Il est nécessaire de mettre en place un régime de protection adapté au besoin du majeur incapable, c’est-à-dire qui se trouve dans l’incapacité de pourvoir seul à ses intérêts. Voici le détail des mesures à prévoir, de la plus souple à la plus lourde :
- L’habilitation familiale permet aux familles de veiller seules aux intérêts de leurs proches vulnérables sans que le juge ait à intervenir après la décision de mise en place. Dans cette mesure, le majeur sera représenté ou assisté par l’un de ses proches (un ascendant, descendant, frère ou sœur, époux, partenaire de PACS ou concubin).
- La sauvegarde de justice permet de protéger temporairement les droits et biens d’un adulte qui se trouve dans l’incapacité de le faire lui-même, sans toutefois le priver de la possibilité d’exercer lui-même ses droits. Cette mesure est temporaire, d’un an maximum, et peut viser certains actes déterminés (comme la gestion d’un bien immobilier).
- La curatelle permet d’assister et de conseiller une personne dans les actes de la vie courante (comme percevoir des revenus, placer des économies, conclure un bail, etc.). Cette mesure peut avoir différents niveaux d’assistance : la curatelle simple, renforcée ou aménagée.
- La tutelle permet de gérer le patrimoine pour le compte de la personne protégée qui est dans l’impossibilité totale de continuer à le faire elle-même. Le majeur a ici besoin d’être représenté de manière continue dans les actes de la vie civile.
Dans chacune de ces mesures, une personne est désignée pour représenter ou accompagner le majeur. Selon la mesure, le représentant diffère (respectivement : personne habilitée, mandataire spécial, curateur, tuteur) et ses pouvoirs sur le patrimoine de la personne protégée aussi.
Généralement, l’intervention du juge des contentieux de la protection (ex-juge des tutelles) sera nécessaire pour gérer le patrimoine de la personne protégée.
Exemple : Monsieur Martin est placé sous la tutelle de son fils qui aimerait vendre sa maison au profit d’un déménagement dans un établissement spécialisé. Peut-il le faire à sa place ?
Pour les actes engageant le patrimoine du majeur, le recours au juge est indispensable. Tel est notamment le cas lorsque le majeur est sous une mesure de tutelle et que lui et/ou son tuteur souhaitent vendre un bien immobilier lui appartenant, ou apporter un fonds de commerce à une société par exemple.
Le saviez-vous : Qui peut faire une demande de mesure de protection ?
Le juge peut être saisi par la future personne protégée, les proches de cette dernière ou le procureur de la République car c’est lui qui décide de la mesure de protection à mettre en œuvre. La demande de placement doit inclure le formulaire Cerfa n°15891, un certificat médical et un énoncé des faits qui justifient de la nécessité d’une mise sous l’une des mesures de protection.
Si vous n’anticipez pas, que se passera-t-il à votre décès ?
À votre décès, si l’un de vos héritiers est un majeur protégé, celui-ci dispose des mêmes options que vos autres héritiers. À savoir :
- Accepter purement et simplement la succession : il accepte toute la succession avec ses actifs (biens immobiliers, liquidités, etc.) et ses dettes (frais funéraires, etc.) mais seulement à hauteur de ses droits dans la succession.
- Accepter à concurrence de l’actif net : il n’est pas tenu au paiement des dettes de la succession qui dépassent ses droits.
- Renoncer à la succession : il refuse de toucher sa part d’héritage.
En fonction de l’option choisie et des mesures de protection de l’héritier, c’est un tiers décisionnaire (tuteur, curateur, etc.) qui prendra l’option et réalisera les démarches pour son compte, éventuellement après autorisation préalable du juge.
Qui peut opter ?
Décisionnaire en fonction de l’option successorale
Majeur sous habilitation familiale | Majeur sous habilitation familiale | Majeur sous curatelle | Majeur sous tutelle | |
---|---|---|---|---|
Acceptation pure et simple | La personne habilitée avec l’autorisation préalable du juge | La personne habilitée et la personne sous habilitation avec l’autorisation préalable du juge | La personne sous curatelle avec l’assistance du curateur | Le tuteur avec l’autorisation préalable du juge |
Acceptation à concurrence de l’actif net | La personne sous habilitation seule | La personne sous habilitation seule | La personne sous curatelle seule | Le tuteur |
Renonciation | La personne habilitée avec l’autorisation préalable du juge | La personne sous habilitation familiale avec l’assistance de la personne habilitée avec l’autorisation préalable du juge | La personne sous curatelle avec l’assistance du curateur | Le tuteur avec l’autorisation préalable du juge |
Exemple : Céline, Julie et Pierre sont frère et sœurs. Pierre, majeur, est placé sous sauvegarde de justice. Ils viennent d’hériter d’un bien immobilier de leur mère qu’ils aimeraient vendre. Qui a le dernier mot ?
Si le juge n’a pas désigné de mandataire spécial pour accomplir tous les actes relatifs à la succession de sa mère, Pierre peut lui-même consentir à la vente du bien immobilier (sans recourir à son mandataire, ni même au juge).
La vente pourra être annulée si Pierre avait un trouble mental au moment de la signature de l’acte ou s’il a subi un préjudice financier (par exemple, si le prix de vente est manifestement inférieur à la valeur vénale du bien).
Comment organiser la transmission d’un patrimoine à un majeur protégé ?
Lors de la donation à un majeur incapable, il est opportun d’insérer différentes clauses dans l’acte afin d’éviter la “dilapidation” du patrimoine. Ainsi, lors d’une donation, différentes clauses sont souvent intégrées :
- Une clause d’inaliénabilité vous permettant d’interdire la vente du bien reçu sans votre accord et évitant ainsi l’abus de faiblesse envers le majeur incapable en l’absence de régime de protection. Cette clause n’est valable qu’à la condition d’être limitée dans le temps et d’être justifiée par un intérêt sérieux et légitime.
- Un droit de retour conventionnel vous permettant de vous assurer que le bien demeure dans votre famille si le majeur décède sans descendance (le bien revient dans votre patrimoine, sans entrer dans sa succession).
Enfin, il est possible de prévoir la transmission successive d’un bien. Ainsi, en premier, vous pouvez donner au majeur incapable un bien, à charge pour lui de le transmettre (ou ce qu’il en restera), à son décès, à une seconde personne que vous aurez désignée.
Exemple : La famille Durand a trois enfants, Nathalie, Sandrine et Paul. Paul, majeur, est “incapable”, il est placé sous la tutelle de ses sœurs.
Les parents souhaitent préparer la transmission de leur patrimoine afin de protéger leur enfant en situation de handicap et lui procurer des revenus complémentaires. Ils veulent procéder à la donation d’un appartement locatif et souhaitent préserver l’égalité entre leurs enfants.
Pour assurer l’égalité entre frère et sœurs, les parents établissent un acte de donation au profit de leur fils, il bénéficiera des revenus du bien immobilier sa vie durant. À son décès, ses sœurs recevront le bien.
Comment assurer les besoins financiers du majeur protégé ?
Le risque de dépendance financière est accru chez les majeurs incapables. En particulier au moment du décès de leurs parents, ils doivent trouver de nouveaux moyens et lieux de subsistance, ce qui peut s’avérer coûteux. Ainsi la souscription d’un contrat d’assurance dépendance permettra de garder une indépendance financière en générant un revenu supplémentaire lorsque le risque de dépendance sera réalisé, garantissant ainsi le maintien du niveau de vie de la personne assurée, quel que soit son degré d’incapacité.
De plus, la souscription à un contrat d’épargne handicap est recommandée pour assurer des revenus complémentaires au majeur protégé. Le contrat d’épargne handicap est un contrat d’assurance-vie souscrit par les personnes qui, cumulativement :
- sont atteintes d’un handicap les empêchant d’exercer une activité professionnelle dans des conditions normales de rentabilité ;
- n’ont pas liquidé leurs droits à la retraite.
Ces contrats garantissent, en cas de vie, le versement d’un capital ou d’une rente viagère après 6 ans minimum d’ancienneté, et en cas de décès, le versement d’un capital à un bénéficiaire désigné.
Le + : Les primes versées, dans le cadre du contrat d’épargne handicap, permettent au souscripteur de bénéficier d’une réduction d’impôt de 25 %, plafonné à 1 525 € de primes, soit une économie d’impôt maximale de 1 525 € x 25 %, soit 381,25 €. Ce plafond est majoré de 300 € par personne à charge, soit une économie d’impôt supplémentaire de 300 € x 25 %, soit 75 € par personne à charge (enfant en garde alternée, ascendant, etc.).
Comment organiser la gestion du patrimoine d’un majeur incapable ?
La souscription d’un contrat d’assurance-vie par un majeur protégé est possible mais les modalités de gestion diffèrent selon le régime de protection sous lequel il est placé :
Modalités de gestion d’un contrat d’assurance-vie selon le régime de protection sous lequel est placé un majeur protégé
Souscrire le contrat d’assurance-vie, effectuer des rachats, des avances et des versements | Désigner ou modifier le bénéficiaire du contrat d’assurance-vie | |
---|---|---|
Sauvegarde de justice | Le majeur protégé, avec assistance du mandataire | Le majeur protégé, avec assistance du mandataire |
Curatelle | Le majeur protégé avec l’assistance de son curateur | Le majeur protégé avec l’assistance de son curateur |
Tutelle |
| Application de la clause légale “mes héritiers”. |
Habitation familiale | La personne habilitée pour le compte de la personne représentée si l’habilitation familiale est générale ou l’habilite en ce sens | L’autorisation du juge est requise en cas de conflit d’intérêt ou de clause particulière |
Comme pour toute personne physique, la souscription d’un contrat d’assurance-vie permet au majeur protégé de faire fructifier son patrimoine, de bénéficier d’un régime fiscal avantageux en cas de rachat, et de préparer la transmission de son patrimoine à la ou les personnes de son choix.
Vous êtes le curateur (ou le tuteur) d’une personne protégée. Pouvez-vous être désigné bénéficiaire de son contrat d’assurance-vie ? Oui, cependant, il sera nécessaire de demander l’accord du juge dans ce cas.
Par ailleurs, le majeur protégé peut transmettre son patrimoine, de son vivant grâce à une donation, ou à son décès en rédigeant un testament. Selon la mesure sous laquelle il est placé, il devra être assisté (ou représenté) et parfois, obtenir l’autorisation du juge pour réaliser ces actes.
Existe-t-il une mesure d’anticipation aux régimes de protection judiciaire ?
Le mandat de protection future vous permet de confier la protection de votre patrimoine à une ou plusieurs personnes (mandataires) qui vous représenteront le jour où vous n’aurez plus la capacité de gérer seul vos intérêts. Cette mesure a pour objet d’anticiper une éventuelle perte de capacité physique et/ou mentale. Le mandataire pourra alors protéger vos intérêts personnels et/ou patrimoniaux.
Pouvez-vous nommer votre conseiller comme mandataire de protection future ? Le mandataire peut être toute personne physique que vous aurez choisie. Il est donc possible de désigner votre conseiller en gestion de patrimoine. Cependant, cela n’est pas opportun, car l’exercice de la qualité de mandataire en parallèle de celle de conseiller peut être source de contentieux en raison du conflit d’intérêts existant.
L’avantage majeur de cette mesure d’anticipation est sa souplesse :
- le mandat peut accorder au mandataire les pouvoirs d’un tuteur, d’un curateur, ou encore des pouvoirs limités à certaines opérations précises (comme la gestion d’un portefeuille financier) ;
- le mandat peut aussi accorder une simple mission d’assistance, totale ou partielle, pour tous les actes patrimoniaux ou pour certains seulement ;
- le mandat peut également désigner un ou plusieurs mandataires, chacun désigné pour une mission particulière (par exemple, un premier pourra gérer vos intérêts personnels et un second vos intérêts patrimoniaux).
Notre avis : La mise en œuvre du mandat de protection future est assez simple, il suffit d’établir un certificat médical (d’un médecin inscrit sur une liste au tribunal) et d’obtenir le visa du greffier. Dans ces circonstances, il peut être opportun de prévoir dans le mandat que celui-ci ne s’ouvrira par exemple qu’après avis conforme de tous les enfants, ou de la majorité des enfants, d’une personne de confiance définie dans le mandat, etc., avec saisie du juge en cas de difficultés.
En pratique, rapprochez-vous de votre notaire ou de votre avocat pour le mettre en place.
Pour conclure, différentes solutions existent pour anticiper la transmission de votre patrimoine au profit d’une personne protégée, pour assurer ses besoins financiers et plus généralement pour gérer son patrimoine. N’hésitez pas à vous rapprocher de votre conseiller pour appréhender les tenants et aboutissants de chacune d’elles, et choisir la plus appropriée à votre situation et à vos besoins.